Lettre d’infos – Été 2024

Obligations de l’expert-comptable

Source : Cour de cassation Chambre Commerciale 14 février 2024

Subissant un redressement fiscal, une société avait un expert-comptable pour tenir sa comptabilité, fournir une aide à l’établissement des comptes annuels et des documents sociaux et fiscaux de fin d’exercice. La société fait désigner un expert judiciaire, qui relève des anomalies comptables affectant notamment certains postes clients et corrige l’actif net à la baisse à hauteur de 100.000€.

N’écoutant que, …, la société agit alors en responsabilité contre l’expert-comptable, lui reprochant notamment d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne l’alertant pas sur les impayés des clients.

La responsabilité dépend de plusieurs facteurs.

S’il est en charge de la rédaction d’un acte, par exemple une cession de droits sociaux, l’expert-comptable a l’obligation d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et les risques de l’acte qu’il établit ainsi que sur la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales. En matière sociale et pour l’établissement des bulletins de paye, il a une obligation de conseil afférente à la conformité de ce contrat aux dispositions légales et réglementaires compte tenu des informations qu’il doit recueillir sur le contrat de travail.

Ici, la mission de l’expert était cantonnée à la tenue de la comptabilité sociale et à l’assistance à la présentation des comptes annuels. La Cour a donc jugé que le devoir de conseil de l’expert-comptable n’implique pas d’alerter les dirigeants de l’importance de l’encours client, des relances nécessaires à faire et des retards de paiement lorsqu’il n’a pour mission que la tenue de la comptabilité et une aide à l’établissement des comptes annuels et des documents fiscaux et sociaux de fin d’exercice.

Rien n’interdit en revanche aux parties de confier expressément ces tâches à l’expert-comptable dans la lettre de mission.

En complément, la société reproche aussi à l’expert-comptable d’avoir commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité, en omettant notamment de passer en perte des créances non recouvrables et d’inscrire en compte les conséquences financières du redressement fiscal. La société demande à être indemnisée à hauteur de ces sommes.

Le non-recouvrement des créances étant dû à l’ouverture de procédures collectives à l’encontre des débiteurs ou à l’inexistence même des créances, il n’y avait pas d’anomalie comptables et donc pas de lien de causalité entre les évènements, et donc pas de dommage. Pour assurer le suivi du règlement des factures, les dirigeants de la société ne se référaient pas à la comptabilité, mais à un tableau établi en interne par un salarié de la société. Comme en outre la société n’invoquait pas de faute de l’expert-comptable liée aux redressements fiscaux, le lien de causalité manquait encore plus.

La preuve de la réalité d’une faute commise par un expert-comptable ne suffit pas à engager sa responsabilité ; encore faut-il, selon les règles de droit commun de la responsabilité civile, qu’il existe un lien de causalité entre le dommage subi et la faute.

Ainsi un client qui ne met pas en place des mesures du suivi préconisées ou un dirigeant qui préfère faire comptabiliser à son crédit de compte d’associé une somme qu’il ne souhaite pas déclarer par enregistrement dans le compte de résultat n’ouvre pas droit à l’action en responsabilité de l’expert-comptable.

 

Société à responsabilité limitée et associé unique

Source : Conseil d’État 5 février 2024

Pour exercer valablement leur option pour l’imposition selon le régime propre aux sociétés de capitaux (3 du 206 du CGI), les sociétés de personnes doivent soit : ◘ notifier cette option au service des impôts du lieu de leur principal établissement, ◘ cocher la case prévue à cet effet sur le formulaire remis au centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce dont elles dépendent à l’occasion de la déclaration de leur création ou de leur modification, manifestant ainsi sans ambiguïté l’exercice de leur option.

Toutefois, est réputée avoir régulièrement opté pour l’option offerte par l’article précité une société à responsabilité limitée dont l’associé unique est une personne physique qui déclare dans ses statuts constitutifs relever du régime de l’impôt sur les sociétés et qui, dès son premier exercice social, dépose ses déclarations de résultats sous le régime de cet impôt.

Même, si par erreur, la case mentionnant l’assujettissement aux bénéfices industriels et commerciaux, correspondant au régime d’imposition de droit commun des sociétés de personnes et non susceptible dès lors de caractériser l’exercice d’une quelconque option, avait été cochée sur le formulaire remis au centre de formalités des entreprises par la gérante qui n’était pas l’associée unique, cette erreur n’est pas susceptible de remettre en cause l’option de la société en faveur de son assujettissement à l’IS.

Il a donc été jugé que l’administration fiscale était en droit d’imposer la société requérante selon le régime de l’impôt sur les sociétés dès lors que la mention de son assujettissement à cet impôt figurait dans ses statuts constitutifs et qu’elle avait, depuis sa création, déclaré ses résultats selon ce régime d’imposition.

 

Signature de la fiche de cautionnement

Source : Cassation Commerciale 13 mars 2024

Pour apprécier la disproportion du cautionnement donné par une personne physique à un créancier professionnel, la fiche patrimoniale doit être signée par la caution avant la souscription du cautionnement.

Une personne physique qui s’est portée caution à l’égard d’une banque invoque la disproportion de son engagement pour refuser de l’exécuter.

La banque lui oppose la fiche de renseignements patrimoniaux que la caution lui a remise un mois après la souscription du cautionnement et qui, dénuée de toute anomalie, ne montre pas l’existence d’une disproportion de cet engagement aux revenus et biens de la caution.

La Cour de cassation rejette l’argument de la banque. Si, sauf anomalies apparentes, le créancier n’est pas tenu de vérifier les déclarations fournies par la caution, à qui il incombe de prouver la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, la banque avait le devoir de s’enquérir de la situation patrimoniale de celle-ci, avant la souscription du cautionnement, de sorte qu’il ne peut pas être tenu compte, pour l’appréciation de la disproportion, d’une fiche de renseignements signée postérieurement, comme en l’espèce.

Le cautionnement est soit souscrit depuis le 1er janvier 2022 soit avant, par une personne physique envers un créancier professionnel.

Si le cautionnement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est limité à hauteur de son engagement à cette date (cautionnement souscrit depuis le 1er janvier 2022) ou annulé (souscrit avant cette date).

Le créancier doit s’enquérir de la situation financière et patrimoniale de la caution. A cette fin, les banques font habituellement remplir à la caution une fiche de renseignements, dont elles n’ont pas à vérifier l’exactitude et l’exhaustivité et à laquelle elles peuvent en principe se fier. Corrélativement, la caution, qui doit prouver la disproportion de son engagement, n’est plus admise à prouver devant le juge que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée à la banque.

Il est dérogé à ces principes notamment lorsque la déclaration patrimoniale de la caution comporte une anomalie apparente et dans la seule mesure de cette anomalie, lorsque la fiche patrimoniale n’a pas été signée par la caution, ou encore lorsque cette fiche est trop ancienne par rapport à la date de souscription du cautionnement et que la banque a accepté de la prendre en compte au lieu d’en demander l’actualisation C’est la première fois que la Cour de cassation affirme que la fiche de renseignement signée par la caution après la souscription du cautionnement ne peut pas être utilisée pour apprécier la disproportion de celui-ci.

 

Règles d’imposition des professions libérales

Source : BOI-RES-BNC-000136 du 24-4-2024

Nouvellement depuis 2024, les rémunérations perçues par les associés de société d’exercice libéral (SEL) au titre de l’exercice d’une activité libérale dans cette société sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

Quelles sont les charges déductibles du bénéfice non commercial du professionnel ?

Dès lors, que les rémunérations des associés de SEL sont imposées dans la catégorie des BNC, les charges déductibles sont celles admises dans les conditions de droit commun, si elles sont engagées à raison de l’exercice des fonctions techniques des associés dont les revenus sont imposés dans la catégorie des BNC. Pour les frais de transport entre le domicile et le lieu de travail, l’Administration accepte cette déduction car ces frais sont, en règle générale, inhérents à leur fonction. Mais comme l’activité libérale développée dans le cadre d’une telle société est réputée exercée par cette dernière auprès des clients il en résulte que les frais exposés en lien avec la clientèle sont en principe déductibles du résultat de la SEL.

Pour les cotisations sociales, l’Administration rappelle tout d’abord que les contrats d’assurance groupe dits Madelin existants avant la création au 1er octobre 2019 des plans d’épargne retraite peuvent continuer à fonctionner. Les cotisations versées dans le cadre de ces contrats sont déductibles, sous certaines limites chiffrées, des revenus professionnels des contribuables exerçant une activité non commerciale, si les cotisations sont payées par le professionnel.

Dans le cas où les primes afférentes à un contrat Madelin ou à un plan d’épargne retraite sont directement versées par la SEL, l’administration précise qu’elles constituent un élément de la rémunération totale octroyée à l’associé dans le cadre de ses fonctions techniques. Dans cette situation, les cotisations concernées sont par principe déductibles du résultat de la société. Elle souligne en outre que leur prise en charge par la SEL, au nom et pour le compte de l’associé, constitue pour celui-ci une recette accessoire ayant un lien direct avec l’exercice de sa profession et de l’activité libérale exercée, venant majorer, pour le même montant, son résultat imposable dans la catégorie des BNC.

Autrement dit, soit le professionnel BNC règle des cotisations et les répercute dans les honoraires qu’il facture à la SEL, il a donc une charge et un produit du même montant, soit la SEL règle directement ses cotisations et dans ce cas, c’est une charge déductible pour la SEL et une recette imposable pour le professionnel BNC.

Si c’est une charge déductible pour la SEL, la déductibilité des cotisations complémentaires est à faire par application de l’article 154 bis du CGI.

Pour les cotisations obligatoires, la question de la déductibilité ne se pose pas : elles le sont sans limitation de montant (cotisations obligatoires d’assurance maladie et de maternité ainsi que les cotisations d’allocations familiales et d’invalidité-décès). Soit la SEL les garde à sa charge et les déduit, et le professionnel BNC les inclut dans ses recettes, soit il les règle et les refacture à la SEL.

L’Administration précise que ces principes sont transposables, dans les mêmes conditions, à l’ensemble des cotisations professionnelles (cotisations ordinales par exemple) acquittées par la SEL au nom et pour le compte de ses associés.

Il nous paraît préférable de laisser les charges ainsi personnelles être réglées par le professionnel BNC qui les refacture à la SEL au titre de ses honoraires plutôt que d’avoir une déduction des comptes de la SEL et une majoration de BNC pour le professionnel (compte tenu du différentiel entre les taux d’IS et le taux marginal de l’IR).

Un associé de SEL ne peut être assimilé à un entrepreneur individuel.

Cette absence d’assimilation a une importance en fiscalité : un entrepreneur individuel peut désormais opter pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés (c’est ce qui s’appelle EIRL). Un BNC ne peut devenir par option soumis à l’Impôt sur les Société, car pour le Conseil d’État (par exemple) un avocat associé d’une SEL n’est pas un entrepreneur individuel dès lors qu’il n’agit pas en son nom propre, sans détenir de patrimoine professionnel propre (ce dernier appartient à la SEL).

S’agissant de la nécessité d’inscrire ou non les parts ou actions détenues par l’associé d’une SEL à son actif immobilisé et, par suite, de l’éventuelle possibilité pour cet associé de déduire de son revenu imposable les intérêts de l’emprunt contracté pour les acquérir, l’Administration rappelle que les éléments non affectés par nature à l’exercice d’une profession non commerciale sont une catégorie d’éléments que le contribuable peut volontairement inscrire sur son registre des immobilisations. Sont visés les éléments utilisés dans le cadre de la profession, à l’exclusion de tout élément n’ayant aucun lien direct avec l’exercice de l’activité.

À titre d’exemple, l’administration relève que constituent des éléments non affectés par nature les parts ou actions de sociétés exploitant une clinique dans le cadre de laquelle le contribuable exerce son activité libérale lorsque leur détention, sans être imposée par les statuts ou par le règlement intérieur, présente un intérêt pour l’exercice de la profession.

En cohérence avec cette précision, selon ses propres termes, elle admet que l’associé d’une SEL relevant de l’impôt sur les sociétés peut inscrire à son actif immobilisé les parts ou actions de la SEL dans laquelle il exerce son activité professionnelle. Elle admet ainsi que les intérêts de l’emprunt contracté pour les acquérir seront déductibles du revenu imposable du détenteur des parts ou actions dans les conditions de droit commun.

 

Quand fixer la fin de mission d’un avocat et donc quand démarrer la fixation de ses honoraires ?

Source : Cassation Civile 4 avril 2024

L’action de l’avocat en fixation de ses honoraires dus par un consommateur est soumise à la prescription biennale et court à compter de la fin de sa mission, cette mission pouvant se poursuivre dans la phrase de recouvrement des condamnations prononcées.

La Cour de cassation vient de faire application de ce principe dans l’affaire suivante.

Une convention d’honoraires est conclue entre un particulier et un avocat en 2009 ; un différend les oppose par la suite sur le montant des honoraires. Une Cour d’appel déclare prescrite l’action de l’avocat tendant à la fixation de ses honoraires pour des factures de 2018 et 2020, aux motifs que ces factures concernent des procédures pour lesquelles la mission de l’avocat était terminée plus de deux ans avant l’introduction de l’instance et étaient relatives à des diligences effectuées de nombreuses années auparavant.

La Cour de cassation censure la décision : la mission de l’avocat avait pu se poursuivre, notamment dans la phase de recouvrement des condamnations prononcées qui s’était achevée en septembre 2019 de sorte que les factures contestées n’étaient pas nécessairement prescrites.

Là où la précision est intéressante, c’est dans le fait que la Cour émet le principe que la mission de l’avocat inclut les actes de recouvrements, repoussant d’autant le point de départ de la prescription.

Ce qui vaut pour les avocats doit l’être pour tous les libéraux et les officiers ministériels.

 

La cession d’un fonds doit-elle être autorisée par les associés ?

Source : Cassation commerciale 13 mars 2024

Une SARL est constituée avec pour objet l’exploitation de tous centres sportifs, de remise en forme ou d’amincissement, de coaching minceur et sportif, de consultations diététiques ainsi que la vente de produits diététiques, de compléments alimentaires et accessoires forme et bien-être.

Deux clauses statutaires se carambolent : ◘ une première prévoit que la cession d’un fonds de commerce exploité par la société doit être autorisée au préalable par les associés aux conditions de majorité requises pour l’adoption des décisions ordinaires, ◘ une seconde stipule que les modifications statutaires doivent être adoptées par des décisions extraordinaires prises à la majorité des associés représentant les trois quarts des parts sociales.

Le gérant convoque l’assemblée des associés qui autorise à la majorité prévue pour les décisions ordinaires la cession du fonds de commerce exploité par la SARL. Certains associés engagent alors la responsabilité du gérant à qui ils reprochent d’avoir commis une faute de gestion en cédant le fonds sans avoir obtenu une autorisation aux conditions de majorité prévues pour les décisions extraordinaires.

Une cour d’appel fait droit à leur demande, au motif que la cession du fonds de commerce privait la société de son objet, de sorte qu’elle entraînait nécessairement une.

La Cour de cassation considère que l’objet social ne disparaît pas et donc que la société (ayant toujours un objet) n’a pas modifié ses dispositions statutaires. Il en résulte donc que la modification de la situation commerciale sans modification de la situation juridique n’impose pas l’adoption aux règles de majorité prévues pour les décisions collectives extraordinaires.

Il en aurait été autrement si les statuts avaient prévu que l’objet social ne consistait qu’en l’exploitation de ce fonds nommément désigné à l’adresse indiqué. Là nous aurions eu une dissolution de la société par l’extinction de son objet, cas prévu à l’article 1844-7, 2° du Code civil.

Au cas présent la SARL pouvait exercer ses activités ailleurs puisqu’elle n’avait pas prévu de ne les exercer qu’à cet endroit.

 

À SIGNALER :

Organismes sans but lucratif : franchise d’impôts

Source : BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20 du 20-3-2024 / BOI-TVA-CHAMP-30-10-30-10 du 20-3-2024

Les organismes sans but lucratif échappent aux impôts commerciaux (IS, TVA et contribution économique territoriale) lorsque les recettes tirées de leurs activités lucratives accessoires n’excèdent pas un certain montant, indexé sur la prévision de l’indice des prix à la consommation, hors tabac, retenue dans le projet de loi de finances de l’année (CGI art. 206, 1 bis et 261, 7-1o-b).

Récemment, l’administration précise que ce montant est porté à 78.596€ (au lieu de 76.679€) pour :

· les exercices clos à compter du 31 décembre 2023 en matière d’IS ;

· l’année 2024 en matière de contribution économique territoriale ;

· les recettes encaissées à compter du 1er janvier 2024 en matière de TVA. Cependant, le seuil de 78 596 € sera également retenu comme seuil de référence pour apprécier l’éligibilité à l’exonération dépendant du niveau de chiffre d’affaires de l’année civile précédente (l’année 2023).

Révélation de faits par le commissaire aux comptes

Source : avis du CNCC de mars 2024

Le commissaire aux comptes d’une société filiale d’un groupe qui constate que la société mère de ce groupe, tenue d’établir des comptes consolidés et de désigner deux commissaires aux comptes, n’a pas respecté ces obligations, doit le révéler au procureur de la République.

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